Bon, il va râler Karim Ghiyati, j’ai oublié de faire la photo. Pourtant, ça valait le coup. 44 personnes masquées en face de soi, j’ai plaint les enseignant.e.s. Aucun sourire sur lequel s’appuyer pendant qu’on parle. Au démarrage, du coup, ma voix tremble un peu. Pas à l’aise du tout. Faut dire que je ne connais personne et je ne m’y attendais pas. Je joue à domicile, à la médiathèque Mitterrand de Sète, ce samedi 10 octobre 2020 à 15h.
J’y vais en promenant le long des quais, je m’arrête boire un petit café avant sur l’esplanade, au Colisée. Il fait ce beau temps d’automne superbe qui donne envie de flâner. Je viens vraiment en touriste, petites tennis et pantalon. D’habitude je mets la petite jupe qui va bien, je fais le maquillage qui va bien, je me prépare comme à entrer en scène, je réfléchis à ce que je vais dire, je reste seule un petit moment, avant de sourire à tou.te.s venant, de lancer des « bonjours » sonores et enjoués, de demander des nouvelles des enfants, et de répondre que je vais bien, toujours, merci. Parce que je suis polie.
Je me dis juste au fond de moi qu’il ne faut jamais arriver en touriste, une projection c’est une projection, c’est du travail, cela se respecte. Il faut toujours, toujours se préparer. Comme avant d’aller tourner, comme avant de mener un entretien, comme avant de repeindre un appartement, comme avant d’aller creuser une tranchée…
Mais je pensais vraiment qu’à part la troupe musicale de la médiathèque de l’Ile de Thau qui doit chanter après la projection, et au vu de la petite jauge de la média, il n’y aurait personne d’autre. Vu le temps. Vu le Covid. Vu qu’à Sète, désormais, il y a plein d’autres choses à faire. Par exemple, ce week-end, visiter des ateliers d’artistes ou aller se remuer les méninges à causer de tourisme social et responsable.

Et puis, on va être honnête, cette tournée reportée pour cause de confinement au printemps, mais qui se déroule en pleine montée en puissance des contaminations de l’automne, ne me dit rien qui vaille. Je le fais parce qu’il faut le faire, mais à reculons, en mesurant l’absurdité des temps présents qui veut que la vie continue comme si, parce qu’il le faut bien… Et je n’invite personne à venir. Je me sentirais responsable.
Là encore, je n’ai rien préparé, je n’ai pas fait mon boulot habituel d’envoyer trente rappels par mèls, d’alerter la presse, etc.
Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais tout annulé.
Je dois avoir tort, puisque la salle est pleine.
Je dis les choses habituelles : l’éducation populaire, que la fin est dans les moyens, que l’on apprend en apprenant, que c’est la manière de faire les choses qui importe plus que les choses que l’on fait, etc, etc.
Mais il nous faut parler de l’actualité de ce quartier. En à peine six mois, beaucoup de choses ont basculé. Je n’y filmerai pas actuellement comme j’y ai filmé il y a encore deux ans. Le trafic de dope s’y est apparemment déconfiné, le quartier est entre l’ébullition et le traumatisme. Mes gentilles petites histoires d’éducation populaire, si elles sont valables sur le temps long et pour l’éternité, ne tiennent pas la route face à la situation actuelle.
Mais ce sont toujours, et encore, des femmes qui tentent de s’opposer à tout cela. Avec leurs petits bras. Alors il nous faut les soutenir, encore et toujours.
Sûr que je l’ai facile à dire cela, j’ai déménagé l’an passé…
Mais je sens leur lassitude qui gagne et, mon dieu, comme je les comprends.
Promis juré, pour la projection à Marseillan la semaine prochaine, je m’habille.
Mais bon, là, sûr, on va être trois.
