J’habite quelquefois dans un endroit où « il ne se passe pas grand chose ». Mais c’est reposant, aussi. Il en faut. S’il m’arrive de décrire l’endroit où je vis ainsi, je n’aime pas à l’entendre dire. Encore moins le lire.
Dans ces cas-là, je bondis. Du canapé, déjà.
En train de lire une critique sympathique dans Le Monde d’un film qui donne très envie, « Adolescentes » de Sébastien Lifshitz, je tombe, mal, sur cette phrase : « Sébastien Lifschitz cherchait un endroit sans histoire ni identité particulière, une ville moyenne où rien ou presque ne se passe, une province* neutre et dormante qui ne prenne pas le pas sur ses personnages. »
Il ne dit pas cela, Sébastien Lifshitz, je crois qu’en bon documentariste il ne se le permettrait pas. Enfin… j’espère… Quand on filme, on ne se place ni au-dessus, ni en dessous, c’est pas joli, mais en face, ou à côté.
Il ne parle pas de Brive-la-Gaillarde comme d’un lieu du rien, mais comme d’un lieu non exposé aux vitrines. Nuance. C’est en tout cas ainsi qu’il le dit dans un entretien accordé au même journal : Il voulait « un lieu neutre, moins regardé, pour plus facilement accéder aux personnages ».
Je ne sais pas si le journaliste connaît suffisamment bien Brive-la-Gaillarde pour savoir qu’elle n’a pas d’histoire, aucune identité et que rien ne s’y passe. Moi, je sais qu’elle a une histoire rugbystique, déjà… Je le sais depuis toute petite, infusant mon Roger Couderc tous les dimanches soirs avec la verveine qui va bien. Je connais aussi Peyrehorade et Saint-Vincent de Tyrosse. Et je sais que Brive se situe entre Dordogne et Lot, enjambe la Corrèze, c’est juste magnifique comme pays, et qu’elle fut la première ville de France à se libérer par elle-même en 1944. Dans le genre « sans histoire ni identité particulière »…
Le dimanche matin, je m’en vais acheter le journal local que j’étale sur la table au soleil avec ma tasse de thé pour lire tous ces petits riens qui se passent au pays. Et pendant le petit reposé de l’après-midi, je lis, grâce à ma médiathèque préférée, et ce depuis le confinement, la version numérique du Journal du Dimanche sur mon téléphone portable sans fil pour savoir à quelle sauce le Covid va nous avaler pendant la semaine qui arrive.
A chacun ses vices.
C’est donc ainsi, un tranquille dimanche de juillet, que j’ai bondi du canapé :
« Ce fils de professeur, élève dans un trou perdu au pied des Pyrénées… »
Il s’avère que je vis dans le même trou où l’écrivain célèbre, portraitisé par le JDD, a passé son enfance.
Un trou dans lequel il reste tout de même un collège, une maison de santé, deux écoles primaires, une privée, une publique, la plus grande quincaillerie-droguerie que j’ai jamais vue, trois bars, trois coiffeur.se.s, une pharmacie, une esthéticienne, une fleuriste, une Poste, une boulangerie, une pâtisserie, une MJC, trois restos, des pizzerias en veux-tu, en voilà, un lac, un golf, une équipe de rugby championne de France dans sa catégorie, et le plus beau marché du lundi du canton. Et j’en passe…
Et je le prends mal, mais mal. Ces gens qui écrivent sur leurs ordinateurs loin de nous n’imaginent même pas qu’on y vit dans ces endroits. Et encore moins qu’on les lit. Imaginez ! Lire Le Monde ou Le JDD dans des trous perdus. Inconcevable !
Alors du coup, ben, on se vexe, c’est normal. Oui, on lit des livres, on voit des films, on dévore la presse dans les trous perdus. Faut dire… on a le temps…
On n’a peut-être plus grand chose, dans ces pays où le marasme économique et les distances kilométriques ont asséché les liens sociaux, mais il nous reste un peu d’orgueil.
Dans l’autre endroit où j’habite encore un peu, il se passe beaucoup, beaucoup des choses… et quelquefois… c’est fatigant. A l’échelle de ces pays, sûr qu’il faudrait trouver des équilibres, économiques, culturels et sociaux… « Revitaliser », oui, bien sûr, avec plaisir. Mais pas d’en haut. Parce que sachez que quand vous nous regardez d’en haut, peut-être que vous nous trouvez petits, tout petits, mais quand on vous regarde d’ici, d’en bas, on ne vous trouve pas bien grands.
Comme conclut l’amic Lo Dórques dans ses mèls : gardem nos fièrs !
- Ah oui… et je rappelle que le terme hideux de province nous vient du latin pro vincere, territoires ayant été au préalable vaincus.