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De la mesure, en équilibre

Le monde qui se profile me fait peur. Vraiment. Et ce n’est pas qu’une histoire de virus… J’ai quelquefois envie de me rouler en boule sur le canapé les mains devant les yeux pour ne pas voir ce qui vient. Mais comme on ne se refait pas, j’avale les informations comme les cachets de Doliprane, un peu trop excessivement.

Les invectives de la rentrée ont déjà commencées, les débats à la con vont s’imposer de manière toujours plus clivantes. Il y a de quoi craindre ce monde qui vient, où l’intelligence qui est essentiellement du doute, de la mise en relation, de la mesure, de la prudence aussi, trouvera de moins en moins place.

Jean Birnbaum, dans Le Monde, publie à point nommé une série sur la « modération » chez des intellectuel.le.s qui ont éclairé le siècle dernier. On y puise quelques repères et j’avais envie de les partager, comme à chiner dans ces articles quelques cannes sur lesquelles s’appuyer quand la marche forcée en avant se fait rétropédalage angoissant :

On attaque évidemment par Albert Camus qui fut tant décrié pour cette « mesure » et cette recherche d’équilibre : « Aujourd’hui, on dit d’un homme : “C’est un homme équilibré”, avec une nuance de dédain, constate Camus. En fait, l’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir.»
Quand je dis souvent que je fuis les débats, je devrais plutôt parler de polémiques : « Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes », alertait déjà Camus en 1948 (…). « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison », résume encore l’écrivain. (…)
 « Intellectuel ? Oui. Et ne jamais renier. Intellectuel = celui qui se dédouble. Ça me plaît. (…). “Je méprise l’intelligence” signifie en réalité : “Je ne peux supporter mes doutes”. » Sans jamais viser les clercs en eux-mêmes, Camus a donc pointé leurs trahisons, leur renoncement à toute responsabilité, la bonne conscience qui est la leur quand ils délaissent la nuance argumentée pour l’intimidation outrancière. « La démesure est un confort, toujours, et une carrière, parfois », ironise-t-il. (…)
Et Birnbaum de conclure : « dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance. »

On continue avec Germaine Tillion, résistante et déportée à Ravensbrück en 1942 : « Dans une période où toutes les passions sont exaspérées, et d’abord les nôtres ; où nous avons les nerfs à fleur de peau et le cœur au bord des lèvres, nous ne devons pas nous abandonner aux excès de notre agacement, ou de notre dégoût, mais nous devons nous efforcer de bien voir (le peu qu’on nous laisse voir), de bien comprendre et de bien juger », affirme la résistante dès 1941.
Ethnologue, elle rappelle l’importance d’une pensée qui se conçoit toujours en mouvement : « L’ethnologie – pas seulement science humaine, mais humanisme – tient, au niveau de l’interconnaissance des peuples, une place parallèle à celle que joue le dialogue au niveau des individus : un aller-retour incessant de la pensée, incessamment rectifié. »
Après de nombreuses années passées en Algérie et avoir tenté pendant la guerre d’apporter une voie médiane, à l’instar de Camus, elle connaît bien les travers d’un virilisme qui voit s’affronter les hommes comme les bêtes : « Il existe dans les forêts de l’Amérique boréale des cervidés batailleurs et stupides qui parfois emmêlent leurs gigantesques bois et crèvent ainsi naseaux contre naseaux », remarque celle qui considère toujours l’affrontement comme une facilité hideuse, et la mesure comme une bravoure sacrée. »

Et puis on finit avec celle qui est devenue, un peu comme Camus, à la « mode » d’un temps qui pourtant ne les écoute guère, Hannah Arendt, et qui manie l’humour et la distanciation à égalité avec Germaine Tillion.
 « Si son ironie déstabilise ses interlocuteurs, ce n’est pas pour les paralyser, mais au contraire pour les obliger à s’arrêter une seconde, à faire un retour sur eux-mêmes, à renouer avec la liberté. Pas de pensée sans dialogue, avec les autres et, pour commencer, avec soi. « Parler avec soi-même, c’est déjà, au fond, la pensée », souligne-t-elle ».
Après sa couverture du procès Eichmann, cela lui fut reproché. « Je continue à penser qu’on doit pouvoir rire, parce que c’est en cela que consiste la souveraineté » (…)  Afin d’expliquer ce goût tenace, on peut mentionner une sentence du dramaturge allemand Bertolt Brecht, qu’Arendt aimait citer : « Il faut écraser les grands criminels politiques : et les écraser sous le ridicule. » Mais, aux yeux de la philosophe, ce parti pris constitue bien plus qu’une arme politique. Il engage tout un rapport à la liberté de juger. L’ironie introduit du jeu là où la pensée étouffe, elle remet le langage en mouvement. (…)
Arendt ne confond pas l’intelligence avec l’érudition, ni l’audace avec la culture – elle connaît assez d’intellectuels pour savoir que beaucoup d’entre eux, y compris parmi les plus prestigieux, sont aussi médiocres que dociles. « Je pouvais constater que suivre le mouvement était pour ainsi dire la règle parmi les intellectuels, alors que ce n’était pas le cas dans les autres milieux. Et je n’ai jamais pu oublier cela », se souvient cette juive allemande qui avait dû fuir son pays après la prise du pouvoir par Hitler.
Pour elle, la « bêtise » désigne plutôt un certain rapport à soi, une manière de coller à ses propres préjugés, jusqu’à devenir sourd aux vues d’autrui. Vous vous adressez à quelqu’un et vous avez l’impression de parler à un mur ? A coup sûr, vous touchez du doigt la bêtise. Celle qui permet à un homme de faire fonctionner une immense machine de mort sans éprouver le moindre scrupule, parce que son entendement tourne à vide, et que ce pur fonctionnement le comble. »

Voilà, j’ai envie de finir là-dessus. Sur ces deux « définitions » de l’intelligence et de la bêtise qui peuvent nous accompagner pour quelques années, celles qui viennent…

Commun.e.s

Je n’ai jamais bien aimé les autoroutes. Au propre comme au figuré. C’est un peu un cliché, je m’en excuse. Mais c’est tellement vrai. Les chemins de traverse que j’ai pu emprunter m’ont souvent menée vers ma voie, le nez et les cheveux au vent.

L’été, c’est le temps des balades et des petits chemins. Au risque du chauvin, je répète à l’envi qu’en Occitanie, tout est joli… Et je me le prouve chaque année.
De communes en communes, ici un lac, là un abri, un banc, un calvaire au carrefour, le charme est dans le détail hospitalier, qui fait de l’ombre, qui apaise, qui rafraîchit. Je me dis qu’il faut bien des gens pour s’occuper de ces détails-là, des gens qui ont le souci d’autrui. Des communes, ou désormais des inter-communalités, pour mettre à disposition des habitant.e.s comme des voyag.eur.se.s ces bancs et ces lacs, gratuitement. Je leur rends grâce ici.

Voilà. C’est tout, c’est dit.
A l’an que ven… lo nas e los pels dins lo vent…

Un petit post-scriptum tout de même, il y a dans ces terres du Comminges, Comenge en Oc, et par ces chemins si jolis, une structure qui me tient particulièrement à cœur et qui me rend bien service. C’est ici. Et d’où que vous soyez, désormais, le Comminges peut atterrir tout frais chez vous.

Ne pas trahir l’enfant qu’on a été

Le monde d’après va évidemment ressembler furieusement à celui d’avant mais en pire. Par contre, du coup, je crois que la révolte va être beaucoup plus furieuse, elle aussi.
Parce que, bon, y en a marre des illusionnistes qui te font rêver à l’autre monde qui est possible et puis, zou, au pied du mur, on enfile, Pamphile, les vieux oripeaux du pouvoir avec une telle facilité, une telle évidence, des fringues qui ont déjà beaucoup servi, bien usées, bien usantes, en te le racontant du genre « on ne peut pas faire autrement » « on était bien obligé.e.s » « on avait pas le choix » « c’est un mal pour un bien ». Bref.

Rêver oui, mais croire, non. Alors « faire croire » qu’on peut changer les choses en ne changeant rien aux fondamentaux qui nous gouvernent… La pilule est amère pour celles et ceux qui auraient cru qu’il s’agissait d’agiter des mots pour fonder un monde nouveau. Au pied du mur, il ne s’agit pas seulement de maçonner, il faut se préoccuper avant tout des fondations.

Et là, boum, Bedos. Qui me réactive dans ma manière (comme tout le monde, un peu) de bien aimer avoir raison. Avoir raison, c’est avoir raison avec d’autres. Et j’aime bien avoir raison avec cet homme-là, parce qu’il vient d’une enfance blessée qui nous accorde le droit de savoir de quoi on parle quand on refuse, quand on dit « non », quand on dit « je fais ce que je veux ».

Bedos dit puiser sa morale exempte de moralisme dans le fait de ne pas vouloir « assassiner l’enfant qu’on a été », dans la fidélité à ce que l’on pense, à celles et ceux avec qui l’on pense, à celles et ceux que l’on a aimé.e.s. Jacques Bertin, dans ce film-là, disait, je cite de mémoire : « Ne pas trahir le petit enfant qu’on a été, l’adolescent qu’on a été, l’amoureux qu’on a été ». Si je la connais par cœur, c’est qu’elle est en bonne place dans le vademecum de ma panoplie personnelle.
Cela veut dire que, non, cela ne « passe » pas avec l’âge.
Je m’en souviens, tiens, d’un qui me disait alors que j’approchais de la trentaine : « tu te calmeras avec le temps ». Et j’avais répondu que « non », qu’avec les années j’aurai certainement plus d’arguments encore, je l’espérais, pour refuser un monde que j’abhorre. Et j’avais raison, ça ne s’est pas « calmé », « arrangé » dirait-il s’il était encore par là.

Et c’est l’enfance qui nous donne cette « intransigeance résiliente ». Ils parlent de radicalité. Il n’y a rien de radical dans le fait d’essayer d’agir en conscience. C’est exigeant, cela demande de la constance, cela écarte, cela éloigne quelquefois, mais cela renforce la colonne vertébrale à ce fameux âge où elle aurait tendance à fléchir. Mais cela rassemble aussi. Cela agrège.

Et du coup, je suis triste un peu, comme si j’avais – presque – perdu l’un.e. des mien.ne.s. Presque. Comme si je l’avais connu. Reconnu, c’est certain.

L’an 01

Alors voilà… L’an 01, je bassine avec, je l’offre, je radote. Mais j’ai oublié un truc. Le relire, le revoir. Quand ça va pas bien.
Je me souviens l’avoir eu près de moi comme réconfort, un jour plutôt moche d’il y a 25 ans, en me disant « ça c’est pas la vraie vie, la vraie vie est là », regard en coin vers cette couverture posée sur le chevet.


Après un mois de confinement, je faisais profil bas sur l’après que je crains (je le crains toujours). Mais pendant ce temps, y en a qui bossent…
Réactiver l’an 01, ça fait toujours du bien… Un bien que je me suis fait illico cette après-midi dès réception de cette invitation de CP Production et Pierre Carles, invitation que je relaie… vite vite.

Y en a qui rêvent d’air et de vert, je sais bien, beaucoup en ce moment. Juste un truc. Seul.e, ce sera forcément triste. Collectivement, le pas de côté ne peut que réserver bien des surprises…

Il n’y a pas plus d’après que de farine en branche

Et j’en lis, et j’en écoute, des choses qui font rêver. Rêver d’un « après » du genre de l’an 01. On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste.

Alors, est-ce que la déprime vient toujours au bout d’un mois de confinement ? Est-ce que c’est mathématique, logique, inexorable ?
Je ne sais pas. Mais « l’après » commence à m’user la cervelle. J’en ai marre. J’en ai marre de lire qu’il faut re-localiser les productions. Bien sûr qu’il faut re-localiser les productions. Qu’il faut ré-investir dans les services publics. Bien sûr qu’il faut. Qu’il faut écouter et protéger les petits oiseaux qui re-chantent. Evidemment. Qu’il faut décréter la guerre aux injustices sociales. Qu’il faut mettre en place un revenu d’existence un peu costaud. Que la culture c’est euh… super essentiel. Que la permaculture c’est l’avenir (le mien, c’est certain, c’est pour demain…). Et patin, et couffin.

Bref, le monde meilleur, les « jours heureux » comme dirait l’autre (non mais…) est pour demain. Après.

Alors je lis aussi, je l’ai jamais vraiment fait, les gens qui sont quelque chose dans l’économie du moment du monde tel qu’il ne va pas depuis… euh… longtemps. Et eux (elles ?) disent qu’on va résoudre la crise (une crise ? quelle crise ?) par la relance de la consommation pour retrouver la croissance. Bouh… Pfff… (soupirs). En travaillant… plus. Évidemment.

Donc on sait depuis longtemps qu’on va dans le mur. Y en a d’autres qui se sont pris le mur dans le monde bien avant cette pandémie. On le dit, on l’écrit, on le hurle, on le chante. On espère toujours des jours meilleurs. Et puis, hop, on repart au charbon tout pareil. Enfin non, pas tout pareil, en faisant sauter décennie après décennie, les unes après les autres, ce que nous appelions des « protections sociales » du temps des jours heureux, justement, du CNR.

Il n’y a pas plus d’après à Saint-Germain des Prés que de farine en stock dans les supermarchés. Des jours heureux, il n’y en aura pas plus demain qu’après-demain si on ne trouve pas au plus vite la pédale de frein. Mais fissa, fissa. Il ne s’agit pas de penser, ça c’est fait. Du stock de « penser le monde d’après », on l’avait avant. Il s’agirait plutôt de le mettre en œuvre. Partout, et tout le temps. Bref, je déprime parce que je n’y crois pas vraiment. Comme le dit Rony Brauman : «  J’essaie d’éviter de confondre ce à quoi j’aspire et ce que je peux prévoir. » Mais sinon, ça va. Gardarem lo moral !

Service public

Le monde tient sur elles et sur eux, en faits. En faits concrets. Ce que l’on relève aujourd’hui, ce sont des faits concrets : soigner, ramasser les ordures, entretenir l’espace public, enseigner à distance, s’occuper des enfants, des vieilles, des vieux, des handicapé.e.s, de toutes celles et ceux qui en ont besoin, faire arriver le courrier, faire arriver les trains, traiter les dossiers, etc.

Le monde tient sur elles et sur eux, en fait. 
Je l’avais déjà écrite cette phrase, et je pense que c’est après un entretien avec les médiathécaires de l’Ile de Thau. L’une d’entre elles, Mireille, lance ce terme, trop souvent abstrait : « service public ». « Si on tient, aussi, c’est parce qu’on a le sens du service public ». Et les autres, derrière elle, approuvent : « Ah oui ! » (C’est ici, vers la 28°minute).
Une autre, Francine, me raconte le discours d’une collègue, Mariem, au moment de sa titularisation : « Elle dit alors l’honneur qui lui est fait de pouvoir contribuer au service public ». Francine dit les frissons, l’émotion que cela lui a procuré. Cette incarnation du terme : Service public. (C’est , juste en suivant vers la 29° minute).

Pour moi, ce n’était qu’un concept, une valeur à défendre de fait, essentielle, évidente, dans les rues souvent, ou lors de débats desquels je ne suis pas arrivée à m’échapper à temps (sachez-le, normalement, je fuis les débats, je trouve ça… inopérant on va dire. Le débat d’opinions contradictoires est à mon sens contre-productif et source d’un niveau sonore assez insupportable).

C’était, oui, concrètement abstrait. Concret parce que je sais bien que l’éducation, la santé, je ne les ai pas payées moi-même au prix qu’elles valent et je n’ai jamais râlé de payer des impôts. Abstrait parce que cela manquait d’incarnation, justement. J’ai peu connu d’agent.e.s du service public qui en parlaient si bien avant cet entretien.

Hier soir, dans une video relayée par France Info, une infirmière expliquait que si elle continuait à travailler comme elle le fait actuellement aux urgences d’un CHU, sans avoir pris plus d’une semaine de congés dans l’année, si elle accepte qu’on remanie en permanence son planning en fonction des arrivées du moment, c’est parce qu’elle est « au service du public. C’est notre métier. » Texto.

L’article suivant, dans le fil d’info de France info, c’est l’ARS de Nancy qui envisage toujours de supprimer quasi 600 postes et 174 lits dans les hôpitaux de la région.

Oui, c’est clair. Le monde ne tient QUE sur les gens de bonne volonté. Et à rebours de leurs tutelles, bien souvent. La prise de conscience du moment c’est que, si ces gens lâchent, ça s’écroule leur château de cartes, tout simplement.
Si nous pouvions nous rendre compte de la force que nous représentons, toutes et tous ensemble…

Et sinon, un ami me dit qu’il réécoute en ce moment Jacques Bertin, « Menace » et… ma foi…

L’essentiel

Qu’est-ce qui est essentiel ?
Le moment nous fournit quelques réponses.

Samuel Churin, toujours pertinent, fait remarquer que les personnes essentielles à nous aider à vivre et, on l’espère, à passer ce moment sont parmi les moins valorisées et les moins payées (ça marche ensemble). Alors applaudir, si on veut. Mais s’en souvenir quand les rues seront accessibles à la foule, ma foi…

Je me reprends à rêver de L’an 01. On arrête tout, on réfléchit… mais c’est bien triste tout de même…

« Sur les emplois, ce virus est aussi un extraordinaire révélateur. On pourra en effet constater que éboueurs, caissi.er.ère.s et employé.e.s de supermarché, personnels de l’hôpital et de la petite enfance, travailleur.euse.s socia.les.ux, électricien.ne.s, gazier.e.s ou conduct.rice.eur.s de train,… sont bien plus essentiels à nos vies que n’importe quel conseiller.e financier.e.

Ce sont pourtant les boulots les moins bien payés, les plus négligés, les moins bien considérés, ceux qui ont concentré les mauvaises blagues des mauvais sketchs de mauvais comiques. Ce sont pourtant ces derniers, ces « presque-rien », ces négligé.e.s qui sont, clairement, nos premi.ère.er.s de cordée.

Passés l’émotion et les applaudissements au balcon, nous devrons nous en rappeler, nous devrons rappeler à celles et ceux qui nous gouvernent que ces femmes et ces hommes ont fait rempart, pendant que d’autres, mieux considérés, pouvaient être protégés dans leurs maisons de campagne (et tant mieux pour eux, elles).
Il ne s’agit pas de monter les gens les uns contre les autres, il s’agit d’obtenir une revalorisation réelle de tous ces métiers pénibles, exercés par des femmes et par des hommes qui sont en train, concrètement, de nous sauver. »

Et sinon, dans la série boulot pas essentiel, mais on a fait du stock pour l’avenir, vu que tout le monde propose de revoir des vieux films, je vous propose de revoir les miens : ici et .

Et on peut aussi aller lire ici. S’informer là. Et vice-versa.

Et l’essentiel en ces temps bousculés et/ou enfermés, c’est aussi la tendresse. Une bien belle initiative à écouter, réécouter pour tous ces matins confinés.


Le dernier café du matin, c’était dimanche

Je ne peux rien faire d’autre que de lire les fils d’info et envoyer des blagues à mes proches.

Enfin non, je triche. Je lis aussi, je cuisine, je fais le ménage et les lessives, et je regarde films et séries, comme tout le monde. Plus le tour du quartier, mon téléphone a compté : 4000 pas. Donc faudra désormais faire deux fois le tour du quartier. Le tour du quartier, c’est longer quatre canaux entre ombre et soleil. On peut difficilement se plaindre.

C’est le premier matin que je me rends compte de l’état de fébrilité. Je suis ridicule sur mon téléphone portable, je lis les titres, je n’arrive pas à me concentrer pour lire les articles en entier, je jongle entre les applications. Quand je m’en aperçois, je pose illico le téléphone sur la table et je réfléchis. Pourtant j’ai bien dormi. C’est quoi cet état ? Et ça me revient, j’ai déjà connu ça, c’était après l’explosion d’AZF. Je vivais AZF, je lisais AZF, je me réveillais AZF, merci mon dieu, je ne mangeais pas AZF.

Le virus est entré partout dans nos têtes, mais il a mis le temps. Oui, oui j’avoue, dimanche matin, je faisais partie de celles et ceux qui, ravi.e.s de trouver un bistrot non pas ouvert mais qui distribuait des cafés à emporter, se sont assis.e.s pendant deux heures à voir le monde passer et à tenir salon (bon, à un mètre au moins de chacun.e). Je ne suis pas restée seule une minute, la ville entière s’était donnée rendez-vous pour voir à quoi ressemble une ville sans bars. Et on sentait le soulagement de chacun.e de pouvoir, une dernière fois, s’arrêter comme en terre de connaissances.

Le rituel du café du matin, ici comme en tant d’endroits du monde, est sacré pour certain.e.s. Je me suis toujours débrouillée, même du temps du salariat contraint, pour aller prendre mon café en lisant le journal dans un bar de quartier. Les jours sans étaient des jours malades.

On mesure, au désarroi de quelques-uns ce dimanche, l’importance du rituel. On comprend très vite, on le savait déjà mais sans en avoir la conscience, que pour beaucoup d’entre eux (peu de femmes en l’occurence), le café du matin, l’apéro du midi sont les seuls moments de rencontres de beaucoup d’habitués qui passent de bar en bar autour du marché de la ville.

Nous qui échangeons par mèl, par texto, par conseils de lecture, par échanges de films, par coup de fil si la voix de l’autre manque, nous ne sommes pas seul.e.s. Et pouvons nous resservir un café dans la tasse, parce qu’on a bien quatre paquets d’avance…


La bourse ou la fuite

L’argent, qui est la valeur de toutes choses, est étonnamment aussi celle du respect que l’on vous porte. On le sait : se démonétiser, c’est se dévaloriser.
Mais, tous les comptes faits et refaits au fond de la bourse, pièce à pièce, finalement… pourquoi ne pas décider de se démonétiser tout.e seul.e ? Et de s’accorder de la valeur par soi-même ? Et de refuser que d’autres en décident à notre place ?
Pour vivre chouïa plus heureux.ses, il suffirait donc de choisir avec qui l’on veut bien échanger la valeur de nos dons.

Choisir de « travailler » avec des gens qui fonctionnent de même, et fuir celles et ceux qui, par l’argent, se donnent un pouvoir, celui de vie sur autrui, pouvoir qu’en réalité nous leur procurons par nos silences et nos trouilles, pourrait bien devenir salutaire.

Bien sûr, il y a un brin de lâcheté à ne jamais parler d’argent parce que ce n’est pas… « poli ».
J’ai entendu l’autre jour : « On vous donnera une petite rémunération ». A qui peut-on dire ce genre de choses, sans préciser le montant de la somme, en pensant que les gens travaillent contre de « petites rémunérations » ? A des gens que l’on prend pour des « con.ne.s »…, à des gens qui ne trouvent pas « polis » de répondre « combien ? »… Ou à des gens qui ont, depuis longtemps, déconnecté le travail du salaire et qui bossent pour le plaisir de faire plaisir.

L’idéal, bien sûr, c’est que, tout travail méritant salaire, il soit rémunéré à son juste prix. Mais c’est quoi, un juste prix, dans un système de faux-semblant où la femme d’un député peut émarger à plus de 5000 euros par mois sans strictement rien faire et où des agriculteur.rice.s ne se tirent même pas un RSA à temps plus que plein ?
Dans l’univers d’où je viens, un monde que je refuse d’habiter, les pauvres choisissent de s’escroquer entre eux : les salarié.e.s abusent des intermittent.e.s, les intermittent.e.s exploitent les stagiaires, les stagiaires s’assoient sur les chômeur.se.s, etc.
Alors la révolte bien sûr ! La syndicalisation, évidemment…
Mais la fuite, aussi…
Parce que courir après le pognon use prématurément les tendons.
Alors que gambader dans la nature renforce la musculature…

Si la fuite est un choix difficile, puisqu’il exige de réduire les frais comme on réduit la voilure d’une embarcation, il faut quand même dire que c’est un choix joyeux !
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai mis sur ce blog tous mes films en accès libre. Pas parce qu’ils ne valent rien, mais pour que vous puissiez les voir à volonté.
Il y a des gens qui, en échange, chaque année, m’offrent des huîtres de Bouzigues, du fromage, du vin de la région de Narbonne, des œuvres d’art, des livres, des bijoux, des céramiques, du pain d’épices, des fleurs, des chapeaux… et bientôt l’hospitalité… si, si… Je vous jure ! Chaque année !*

Car le don / contre-don fonctionne toujours, et pas seulement dans les sociétés archaïques du Potlatch. Joie et bonheur, il devient même central pour celles et ceux qui ont choisi de vivre autrement sur des territoires abandonnés par la monnaie et la rentabilité.

En Comminges, mais pas que, fleurissent les ressourceries, les donneries, les monnaiteries locales, les échangeries et compagnie. De quoi survivre en temps hostiles, de quoi créer du lien quand les anciennes solidarités ont disparu, de quoi envisager l’avenir dans des communautés de vie liées aux territoires choisis ou subis (certaines de ces structures ont vu le jour à l’arrivée de migrant.e.s sur ces terres) dans lesquels nous vivons.

Fuir n’est pas lâche, fuir c’est se garantir une survie en cohérence avec deux trois valeurs qui nous tiennent au cœur. Fuir, c’est choisir.

  • Continuez… chaque année ! Je m’y suis un peu bien habituée…