Pourquoi j’aime tant les médiathèques ? Parce que ce sont des lieux que les usager.e.s s’approprient aisément, fortement même quelquefois. Il y a dans ces espaces publics une relation d’évidence, un public qui suit les propositions qui leur sont faites par les équipes, un peu tous azimuts, de la lecture publique au cinéma, en passant par la musique, le conte ou les jeux videos.
Du coup, alors que je pensais qu’il n’y aurait pas grand monde dans ces séances, il y en a un peu. Bon, pas beaucoup, certes, une vingtaine ce vendredi 23 octobre 2020 à 19h à la médiathèque Montaigne de Frontignan. Mais tout de même…
On ressent la fidélité des gens ici présents à « leur » médiathèque.

J’avoue, cette semaine, je n’ai pas le cœur à présenter ce film, ni un autre, ni rien d’autre. Un petit côté « à quoi bon ? ». Je devrais me méfier de mon addiction à l’actualité. Vendredi dernier, à Marseillan, j’étais dans une bulle. Je n’ai pas voulu la transpercer. Pendant que je sirotais mon Pac à l’eau au bistrot, j’ai entrevu sur le fil France info deux mots, « attentat » « professeur », et je me suis dit : « non, je suis trop bien, là, je ne lis pas, je verrais ça demain ». Mais je n’ai pas pu m’en empêcher, j’ai tout lu en rentrant, dans mon lit. J’aurais dû attendre le lendemain.
Depuis, je ne pense qu’à ça, aux temps qui viennent, plombés. Aux imprécations, accusations, raidissements de la pensée suite à l’assassinat de ce professeur, devenu « le » professeur, celui qui nous en rappelle tant d’autres, au charbon de cette relation privilégiée, et ardue, avec des jeunes en formation.
Je me dis qu’il ne va plus y avoir l’espace de la mesure, de la compréhension des enjeux, de la parole même. Je me dis qu’on est mal. Mal parti.e.s, mal barré.e.s.
Je m’en vais faire deux petits tours à l’Ile de Thau dans la semaine, à la médiathèque.
Je les regarde en action, je n’y reste pas longtemps, mais j’y vois encore ce que j’aurais pu filmer, ce que je n’ai pas filmé, ce qui est tout de même passé dans le film : la nuance, l’intelligence de l’autre, ici c’est tout le temps, dans la gestion de ce que l’on pourrait appeler des « problèmes ». Mais qui n’est que du quotidien, comme pour ce professeur, comme pour tous ces autres en lien permanent avec des « publics ». Concrètement en lien avec d’autres individus, adultes, enfants, que l’on considère dans leur globalité, dans leur intégrité, et pas comme des symboles, des abstractions numériques, des représentant.e.s de leur ethnie, de leur religion. On fait avec, quoi.
Il ne s’agit pas d’opposer la pensée à l’action, jamais. Mais la pensée doit toujours se nourrir, au plus proche, du terrain, des terrains, pour ne pas planer dans des hauteurs abstraites, des valeurs surplombantes, écrasantes même quelquefois quand on n’a pas su les faire comprendre, les faire aimer. Et faire aimer, cela n’est possible que dans une relation de confiance.
Je m’en vais donc dans ces lieux qui nous permettent de nous échapper un peu, tout en continuant d’y ancrer la pensée : Je vais au cinéma. Aimablement invitée par Mostafa Senihji au cinéma Le Taurus à voir le « Josep » d’Aurel, happée par le film, j’en ressors différente. Pendant cette heure vingt et les minutes qui ont suivi, j’ai cessé d’être en boucle sur l’histoire du temps présent. Je me suis replacée dans une histoire plus longue, je me suis dit que l’histoire ce sont aussi des cycles, qu’il faut peut-être en passer par des affrontements, des déchirements, des bouleversements pour refaire sens, pour retrouver ensemble la force de ce qui nous lie. Je ne sais pas, je ne sais rien. Juste que le cinéma, cela fait du bien.
C’est ce que m’ont dit les quelques spectatrices devant moi, au premier rang de l’auditorium de la médiathèque de Frontignan ce vendredi soir. Les visages étaient, sous le masque, heureux. Je ne me souviens plus des mots employés, et tant mieux, cela pourrait paraître prétentieux. Mais, globalement, disons que ce film fait du bien.

Et au cinéma Le Taurus à Mèze, il reste trace du film projeté là-bas le 8 mars dernier… Une attention touchante, qui dit le lien créé. Voilà qui fait plaisir, très.